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Actualités

Appel à articles – Intimités en institutions – Genre, sexualité et société

Intimités en institutions. Construire un espace à soi dans des lieux d’enfermement et de contrôle

Dossier de la revue Genre, sexualité et société coordonné par

Yaëlle Amsellem-Mainguy, Pauline Delage et Arthur Vuattoux

Les travaux menés, en sciences sociales, sur les institutions fermées ont d’abord été le fait d’hommes traitant d’un monde principalement masculin, celui des prisons notamment, considérées comme lieu d’exercice privilégié de la violence étatique et de la discipline des corps (Foucault, 1975 ; Goffman, 1968). Si ces travaux n’ont pas omis de penser la place des corps, peu ont intégré le fait qu’il s’agissait aussi de corps genrés, sur lesquels le pouvoir qui s’applique intègre bien cette dimension : corps marqués par l’expérience du VIH ou des hépatites (Hagège, 2017), corps mis à l’épreuve via le travail, puis à travers des contraintes pesant sur les couples dans les bagnes en Guyane française (Coquet, 2013), corps violentés des femmes trans en prison (Hazera, 2019), corps et socialisation sexuée dans l’armée (Teboul, 2017) entre autres rares terrains déjà explorés.

Néanmoins, un nombre grandissant de recherches a émergé dans les dernières années au croisement des sociologies du genre et de la déviance (Cardi, 2007 ; Vuattoux, 2014), y compris à travers des champs de recherche spécifiques comme celui des feminist surveillance studies (Dubrofsky, Magnet, 2015). Ces recherches ont notamment exploré l’encadrement des normes et morales sexuelles par l’État (Mainsant, 2008 ; Perona, 2018), mais aussi la répression de la sexualité dans des institutions locales, dans les espaces d’enfermement, et plus particulièrement dans les prisons, comme lieu paroxystique du contrôle, de la répression et de la surveillance (Amsellem, Mainguy et al., 2017 ; Ricordeau, 2004). Si la sexualité relationnelle, entre détenu·e·s ou au parloir, est fortement encadrée dans les prisons françaises par des dispositifs spécifiques qui ne sont pas accessibles à tou·te·s (Lancelevée, 2011 ; Touraut, 2015), elle est rendue possible en se dérobant aux règles institutionnelles, ce qui ouvre à l’étude de la reprise en main d’une intimité interdite. La sexualité, notamment des femmes (Joël, 2017) et de toutes les personnes incarcérées, peut dès lors être traitée sous divers angles, comme, par exemple, « la prise en charge et le traitement institutionnels de la sexualité, les pratiques et la morale sexuelles, les violences à caractère sexuel, la santé sexuelle ou encore les représentations des sexualités incarcérées » (Ricordeau et Schlagdenhauffen, 2016).

Toutefois, dans ces lieux et au-delà de la seule sexualité, se pose la question de l’intimité et de la préservation d’un espace à soi. Si la notion d’intimité renvoie à des dimensions de la vie qui ont été, selon un processus historique (Elias, 1939), exclues de la sphère publique, via notamment la construction sociale de la pudeur, elle ne se réduit pas pour autant au monde privé des individus (Berrebi-Hoffmann, 2009). En effet, l’intimité s’est toujours construite par ses frontières, via des opérations sociales de distinction de ce qui est intime et de ce qui ne l’est pas. De ce fait, l’intimité, ou plus précisément le discours sur l’intimité, la régulation de l’intimité, est un enjeu sociologique majeur. La sociologie de la sexualité s’est emparée de cette notion (Weeks, 2003), mais elle est opérante bien au-delà, par exemple pour penser l’accès à la citoyenneté et la possibilité, ouverte ou non aux individus, de se définir comme sujet selon ce qu’ils ou elles laissent filtrer de leur intimité (Plummer, 1996). C’est pourquoi poser la question de l’intimité dans les lieux de contrôle est si important. En prison, mais aussi dans d’autres lieux de contraintes des corps (asiles, foyers, internats, centres éducatifs fermés, maisons de retraite, casernes militaires etc.), il peut apparaître difficile de délimiter un espace à soi, un périmètre intime à l’abri du regard des agents chargés d’encadrer les individus privés plus ou moins partiellement de liberté, mais aussi à l’abri du regard des pairs, eux aussi contraints de partager les espaces d’enfermement. Ainsi, étudier la question de l’intimité permet d’articuler l’étude des relations intimes qui s’établissent dans les lieux d’enfermement avec celle de la construction d’espaces privés dans les institutions, fondés sur les tentatives, parfois vaines, de se soustraire au contrôle des pairs et des agents de surveillance.

L’intimité qui se développe dans les institutions recouvre diverses dimensions allant de la possibilité d’enlever ses vêtements hors du regard d’autrui (ou à l’inverse de cacher son corps), à la possibilité d’une sexualité (relationnelle ou non) au sein de l’institution, en passant par la possibilité de garder une photo de ses proches, celle d’avoir des conversations téléphoniques, ou encore celle du choix des horaires de douche ou du choix des vêtements. L’intimité apparaît, dans ce contexte, ou bien à travers l’enjeu de l’adaptation à un milieu nouveau, qui a ses règles propres (d’où l’intérêt d’étudier les règlements intérieurs des établissements et leur application), ou bien à travers la question des résistances : l’intimité peut s’avérer être un terrain de lutte locale, sous l’angle du droit à l’intimité.

Il s’agit aussi de comprendre comment le contrôle de l’intimité lui-même est régulé, au sens où, enjeu de discours et de pratique dans les institutions, l’intimité donne lieu à des discussions sur les limites du contrôle : comment faire respecter les règles concernant les fouilles des détenus et détenues, quel discours tenir sur l’intimité selon que le public d’une institution est majeur, mineur, en situation de handicap, etc. ? Les lieux d’enfermement n’ont pas échappé à la mise sur agenda des discriminations liées à l’intimité, ce qui a par exemple donné lieu à la création d’espaces d’intimité encadrés ou à des interventions visant à former les agents au respect de l’intimité. Ces tentatives d’intégrer le respect de l’intimité au fonctionnement de l’institution se sont aussi traduites, aux États-Unis par exemple, par des lieux sexo-spécifiques comme les women-centered prisons, critiqués par certaines féministes comme relevant de l’essentialisation des besoins des femmes (Ricordeau, 2019).

Ainsi, se pencher sur l’intimité dans les espaces d’enfermement doit permettre de poursuivre l’analyse de la manière dont un ensemble de normes, en particulier de genre et de sexualité, se déploient et sont reconfigurées par l’enfermement, mais aussi de mieux comprendre en quoi les rapports sociaux de race, de classe, de genre et de sexualité mais aussi d’âge, structurent les règles de gestion de l’intimité dans des lieux où les comportements individuels sont soumis à un regard constant et à des règles strictes. Cela permettra notamment de développer une analyse de l’arbitraire du pouvoir qui se joue parfois dans le fait d’accorder ou non une intimité aux individus, de sanctionner (ou d’autoriser implicitement) telle ou telle entorse aux règlements qui disciplinent les corps, l’intimité et la sexualité.

À partir de ces réflexions, ce dossier thématique propose donc un double élargissement de la focale d’analyse : de la prison aux espaces d’enfermement d’une part, de la sexualité à celle de l’intime d’autre part. À titre indicatif, les contributions pourraient s’inscrire dans les axes suivants :

1. Comment se définit, se construit et se négocie le domaine de l’intime dans des espaces structurés par un fort contrôle ?

Le dossier propose en effet de comparer l’encadrement de l’intimité dans différents types de lieux, qui peuvent être envisagés comme des institutions totales (Goffman, 1968) au vu du fort degré de contrôle. Mixtes ou non-mixtes, ces lieux présentent des organisations spatiales et des fonctions différentes – le soin ou la sanction en particulier. À titre d’exemple, les articles pourront porter sur les casernes militaires, maisons de retraite, hôpital psychiatrique, hôpital, prison, centre éducatif fermé, centre d’hébergement et de réinsertion sociale, foyers, internat… Ces institutions s’appuient sur des ethos et des cultures professionnelles variées et donc des règles, des discours et des normes institutionnels différents structurant l’encadrement des comportements individuels. Aussi, une attention particulière pourra-t-elle être portée à l’analyse des réglementations pour saisir les prescriptions locales, façonnées par des contextes institutionnels et professionnels spécifiques, sur le gouvernement des sujets : l’étude des règlements intérieurs, par exemple, pourrait permettre de saisir la régulation locale de la sexualité et de l’intimité, et une approche comparative permettrait d’en montrer les variabilités.

2. Comment construire un espace à soi ?

Outre les règles instituées, la gestion de ces espaces privés repose non seulement sur les marges de manœuvre que s’octroient les personnes sous contrôle, et qui sont régulées par l’encastrement des ordres institutionnel et social, mais aussi sur une négociation continue avec les pairs et les agents de contrôle. Examiner ce qui institue socialement et historiquement l’intimité permet de penser les tensions et rapports de pouvoir à l’oeuvre dans les institutions. Des propositions analysant les interactions permettant de définir et de délimiter le périmètre intime dans les espaces d’enfermement seront bienvenues. Comment par exemple, des professionnel·le·s s’y prennent-elles/ils pour faire en sorte que les individus aient des espaces d’intimité ? Comment – au contraire – viennent-elles/ils intervenir pour s’assurer que l’appropriation d’espace à soi ou d’intimité ne puisse avoir lieu dans une institution ? Aussi, quelles sont les représentations, normes et pratiques qui participent au fait que les personnes en institutions ne perçoivent pas d’intimité possible pendant ce temps d’encadrement, d’enfermement ? Ou comment cette notion d’intimité est travaillée par les personnes concernées elles-mêmes, et fait l’objet d’une redéfinition subjective à partir des expériences vécues? L’attention accordée aux récits formels et informels, oraux (entretiens, vidéos en ligne) ou écrits (blogs, biographies…) permettrait de mettre au jour les dimensions processuelles de l’ajustement de l’intimité y compris sous l’angle des temporalités.

Les propositions d’articles se situeront au croisement des disciplines de sciences sociales – en particulier l’anthropologie, la sociologie, l’histoire et la géographie – pour proposer des regards différents sur la construction de ces règles, dans le temps et dans l’espace, leur incorporation par celles et ceux qui en sont la cible, leur contestation et les marges de manœuvre qui se dégagent tant pour celles et ceux chargés de les mettre en œuvre que pour celleux qui doivent s’y plier. Les contributions peuvent ne pas se limiter au contexte français. Tout en portant sur une problématique et un objet spécifique, les articles viendront à la fois contribuer à l’analyse des notions d’intimité et d’espace à soi et apporter par leur dimension empirique un apport original en sociologie des institutions et des trajectoires sociales. Autrement dit, avec ce numéro il s’agira d’analyser aussi bien le travail de gouvernement de l’intimité et de la sexualité par les institutions, que les rapports subjectifs des personnes en institution enfermante et contrôlante à l’intimité et à la sexualité.

Si le confinement et l’enfermement ont parfois été mis en équivalence dans les médias ou sur les réseaux sociaux, ce type de comparaison tend à occulter la spécificité de l’enfermement sur l’intimité. Ainsi, les propositions d’article abordant le confinement devraient chercher à souligner les effets de ce contexte sur des espaces d’enfermement.

Nous considérerons avec intérêt les contributions de jeunes chercheur·e·s ou sur des objets relativement peu travaillés jusqu’alors.

Pour le 15 septembre, envoi des résumés de 3000 signes à :

Yaelle Amsellem-Mainguy (INJEP, CERLIS) : Yaelle.AMSELLEM-MAINGUY@jeunesse-sports.gouv.fr

Pauline Delage (CNRS, CRESPPA-CSU) : pauline.delage@cnrs.fr

Arthur Vuattoux (Université Paris 13, IRIS) : arthur.vuattoux@gmail.com

et revuegss@gmail.com

Pour le 1er janvier 2021, envoi des articles, voir les consignes : https://journals.openedition.org/gss/747