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Appel à contributions pour les Cahiers du Genre

Appel à contributions pour les Cahiers du Genre

Dossier proposé par Pauline Delage, Dephine Lacombe et Marylène Lieber
Les propositions sont attendues pour le 2 avril 2021, sous la forme d’un texte de 2000 signes accompagné d’une dizaine de références bibliographiques. Elles mentionneront dans quel(s) axe(s) elles s’inscrivent et devront être adressées aux coordinatrices du dossier aux adresses suivantes :
Pauline.DELAGE@cnrs.fr
Delphine.LACOMBE@cnrs.fr
marylene.lieber@unige.ch

Fémicide-féminicide : généalogie, droit, violences systémiques

Récemment incorporées à la terminologie féministe et militante francophone dans le but de dénoncer la logique et les conséquences létales des violences patriarcales contre les femmes, les notions de fémicide et de féminicide sont désormais entrées dans le langage courant. Depuis 2015, il est pour le Petit Robert « le meurtre d’une femme, d’une fille, en raison de son sexe », même si, en France, le terme de féminicide est aujourd’hui utilisé en général de façon plus restreinte, pour opérer le décompte des femmes assassinées par leur conjoint ou ex-conjoint. Dans ce même contexte, le terme est employé dans les discours gouvernementaux, sans être pour autant traduit en droit. Il peut désormais être mobilisé par les médias grand public, certes à côté de sempiternelles lectures rappelant celles des « crimes passionnels » ou des « drames familiaux » pour expliquer ces meurtres.

L’emploi renouvelé de la catégorie de féminicide renvoie évidemment à l’ouvrage publié en 1992 par Jill Radford et Diana E.H. Russel, rassemblant pas moins d’une quarantaine d’enquêtes autour du « femicide » (Radford & Russel, 1992). Abordé dans la lignée des travaux de J. Hanmer (Hanmer, 1977), de Liz Kelly (Kelly, 1988) sur le continuum des violences sexistes et sexuelles, ainsi que dans celui du premier Tribunal international des crimes commis contre les femmes, tenu à Bruxelles en 1976, le fémicide est exploré non seulement comme l’extrémité létale de ces violences mais aussi comme à la fois la cause et l’outil de la terreur, celle qui dresse les corps et les femmes, qui accule ces dernières à l’ordre masculin et hétérosexuel, en somme comme un « terrorisme sexiste contre les femmes » (Caputi & Russel, 1992,13-21). La force politique avec laquelle les féministes latino-américaines ont réemployé ce terme à
partir des années 1990 a propulsé son usage politique et militant à l’échelle internationale (Devineau, 2012). Décryptant les crimes atroces de Ciudad Juárez, Marcela Lagarde, féministe universitaire et députée, s’est inspirée du « femicide » conceptualisé par Russel pour dresser une nouvelle catégorie, le féminicide, nouvellement défini pour signifier l’inaction étatique comme organisatrice de l’impunité au Mexique (Lagarde, 2006) et pour dresser des repères probatoires, en vue de rédiger la « loi générale pour l’accès des femmes à une vie libre de violences » (2007) [ley general de acceso de las mujeres a una vida libre de violencia]. Cette conceptualisation a également permis de formuler des définitions précises aux fins d’une meilleure compréhension des contextes de perpétration de la violence (Labrecque, 2012 ; Lacombe, 2013).

Julia Monárrez a distingué les « féminicides sexuels systémiques » tels que ceux fortement médiatisés à Juárez, « les féminicides intimes » commis par des partenaires ou ex-partenaires, et les féminicides en lien avec des activités stigmatisées, comme la prostitution (Monárrez, 2006). En Amérique centrale, Ana Carcedo et Montserrat Sagot ont aussi contribué à analyser les contextes de la violence féminicide en rapport avec les violences imputables aux maras, les gangs (Carcedo, 2010 ; Sagot, 2013). Rita Segato accorde quant à elle une attention singulière au féminicide mafieux, lequel serait paradigmatique de la violence masculine raciste, classiste, misogyne, exercée dans un territoire singulier d’insécurité (Segato, 2010). Ce que soulignent nombre de ces autrices suscite des réflexions fécondes pour comprendre dans d’autres contextes nationaux, non seulement le caractère systémique des féminicides (Falquet, 2016), mais surtout l’effet communicationnel voire « la pégagogie de la cruauté » (Segato, 2018) que la persistance de ces assassinats exerce sur les personnes. Les violences létales misogynes sont des supports communicationnels qui renseignent les contextes et les formes de perpétration de la violence sexiste, les rapports sociaux de sexe, et l’imbrication des rapports de pouvoir en général (Fregoso & Bejarano, 2010). En dehors du cadre latinoaméricain, la tuerie de l’Ecole Polytechnique du 6 décembre 1989 au Québec est un exemple de féminicide de masse, entendu comme un moyen, revendiqué par le tireur, Marc Lépine, pour exprimer sa haine des femmes et des féministes (Blais, 2009). Le fémi(ni)cide signifie ainsi plus encore qu’une description de meurtres ou d’homicides au motif du sexe. Il est d’abord, comme l’indique Jill Radford, « un droit des femmes à nommer leur expérience », que l’on peut interpréter de diverses manières : droit de « femmage » aux mortes et aux disparues, droit de qualifier en dehors des catégories pénales existantes le contrôle social et les rapports de pouvoir qui précèdent ou configurent les meurtres, droit de dire que le féminicide ne s’arrête pas avec les homicides mais qu’il est un facteur de socialisation. Ces développements conceptuels ne doivent pas masquer des différences d’usage entre les contextes et les variations de la prégnance de la violence selon ces derniers. Ainsi, si la notion de fémi(ni)cide cible généralement les relations intimes en Europe, son acception est plus large en Amérique latine où il est question de meurtres de femmes inconnues des agresseurs. Une attention doit donc être portée aux conditions géographique et historiques, mais aussi institutionnelles et scientifiques, de formulation et d’appropriation de ce terme. Le foisonnement des travaux sur le fémi(ni)cide, les mobilisations féministes qui le prennent pour objet dans différentes parties du monde, de même que les actes politiques récents contre leur impunité, nous invite ainsi à toujours plus documenter l’actualité de cette violence, sa reconfiguration dans différents contextes institutionnels refusant, en apparence, sa banalisation, non sans faire un retour sur la sociologie et l’anthropologie des définitions et des lectures de la violence sexiste que recouvre le terme. Ce numéro des Cahiers du Genre sera ainsi principalement structuré autour de l’analyse des formes de perpétration des fémi(ni)cides, des processus de dévoilement, de représentations et de traitement de ces derniers, notamment mais non exclusivement à l’aune des formes du re-saisissement du terme lui-même, de ses circulations, de ses traductions et de ses périmètres définitionnels, des controverses qu’il a pu susciter, cela dans tous les espaces géographiques et politiques.