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APPEL A CONTRIBUTIONS Revue Semen – numéro spécial 50

APPEL A CONTRIBUTIONS
Revue Semen – numéro spécial 50

Ces dires qu’en faire, ces faires qu’en dire ?
Approches politiques critiques en sciences sociales du langage

coord. : Félix Danos, Richard Guedj, Manon Him-Aquilli, Sandra Nossik

C’est l’occasion célébrative du numéro 50 de la revue Semen qui impulse cet appel à contribution particulier. Alors que le premier volet de ce numéro spécial sera consacré à un retour sur l’histoire de cette revue pluridisciplinaire, son second volet, dédié aux recherches contemporaines, se propose de réinterroger le lien entre le politique[1] et nos disciplines, à savoir toutes les sciences sociales du langage[2].

Récemment, nombreuses ont été les initiatives scientifiques tentant de rattacher davantage nos travaux aux enjeux politiques contemporains : colloques, ouvrages, séminaires et revues parfois explicitement militantes[3] témoignent d’un ressenti commun, d’une volonté partagée de réévaluer la force politique de nos pratiques de recherche, au sein d’une institution devenue un lieu comme un autre du néo-management et du capitalisme contemporains[4].

L’explosivité des situations sociales, politiques et environnementales, causée par un capitalisme industriel et spéculatif exacerbé, est aujourd’hui perceptible au quotidien : réchauffement climatique et réorganisation du vivant, accroissement des inégalités sociales, intensification des nationalismes, déchaînements dans la répression des mouvements sociaux et dérives autoritaires de la société de contrôle, privatisation des services publics, défiance généralisée envers des classes dirigeantes dépassées par les discours profanes foisonnant sur les supports numériques, visibilisation médiatique de discours haineux, etc. Parallèlement, des formes expérimentales de pratiques politiques ou de vie en communauté se renouvellent ici et là, et invitent à repenser voire à dépasser le rapport entre l’individu, le collectif et l’État (Lordon 2019, Hache 2011) : des « zones à défendre » jusqu’au cyberactivisme, d’autres manières d’organiser son quotidien et de diffuser des contre-discours apparaissent. Dès lors, le monde dans lequel nous sommes pris⋅es nous interdit de penser notre activité scientifique comme suffisante en soi et pour soi, et produite en surplomb et en vase clos par et pour quelques un⋅es. Cependant, acter et assumer le lien nécessaire de nos disciplines sémio-langagières aux enjeux politiques du monde implique d’historiciser ce que l’on entend pardémarche scientifique critique, de repenser nos cadres théoriques ainsi que nos pratiques universitaires, d’en renforcer les fondements, d’en tester les possibilités, et dans le même temps d’en reconnaître les limites.

Notre réflexion nous enjoint ainsi à expliciter et situer, au moins temporairement, ce que nous entendons par critique et politique, et à revisiter les postulats d’origine de nos disciplines : de l’Analyse du Discours, née avec le projet de révéler l’« Idéologie » dominante imprégnant tout discours (Herbert 1966, Maldidier 1990), de la sociolinguistique, soucieuse depuis toujours de mettre au jour les relations de dominations sociales à la fois reflétées et pérennisées par nos pratiques langagières (Marcellesi et Gardin 1974), et des approches critiques de la communication, éclairant notamment les dispositifs techniques et médiatiques dans lesquels sont prises nos productions sémio-langagières (Appel et al. 2010, Flichy 1995, Vidal 2012, Bougnoux 2001, Mattelart 2018).
Annoncer un numéro regroupant des travaux « politiques » nous invite donc à clarifier les présupposés de ceux-ci : qu’il s’agisse de révolution, d’émancipation, d’« agency » (Butler 2005, Marignier 2020), d’« utopie » (Benjamin [1942] 2001), de « reconnaissance et redistribution » ou encore de « justice sociale » (Fraser [1995] 2005), c’est bien toujours d’un horizon d’égalité, de réciprocité et de liberté dont il est question.

Or, maintenir cet horizon à chacune des étapes de nos pratiques de recherche nous rapproche, de fait, d’une grande partie des luttes sociales en cours : il s’agit donc également d’assumer notre place parmi ces pratiques langagières en circulation, en questionnant sans cesse à la fois les implications éthiques de nos positionnements théoriques (Meschonnic 1982, Rabatel 2017), les conditions de production des savoirs dits savants (Bourdieu 1984, Foucault 1971), et leurs usages sociaux, militants ou médiatiques au-delà du champ académique. C’est pourquoi ce numéro n’entend pas étudier les discours issus des luttes sociales ni même les discours sur les mobilisations, mais bien se saisir des préoccupations politiques de ces dernières afin de contribuer aux débats publics qu’elles soulèvent. En effet, si la sociologie, surtout critique, sert souvent de ressource analytique dans la mise en lumière des mécanismes de domination dénoncés par les militant⋅es, qu’ils soient anticapitalistes, antisexistes, antiracistes, ou antispécistes par exemple, on remarque que l’Analyse du Discours, les sciences de l’information et de la communication ou encore la sociolinguistique, remplissent rarement ce rôle[5]..

Pourtant, certains points de tension constituent à la fois des objets d’analyse pour les sciences sociales du langage et des nœuds de revendications pour les luttes actuelles. Nous pensons en premier lieu au champ des Gender and Language Studies qui, inspiré par les épistémologies du point de vue (Harding 1986, Haraway 1991), articule de manière prolifique pratiques de recherche et pratiques militantes (cf. par exemple Bailly 2008, Duchêne et Moïse 2011, Baider et Elmiger 2012, Greco 2014, Paveau 2018, ou encore la revue GLAD !). L’intrication entre pratiques langagières et rapports sociaux de sexe y est mise au jour suivant plusieurs entrées : catégorisation et nomination (Marignier 2017, Greco 2016), approches socio-phonétiques des voix genrées (Arnold et Candea 2015), construction des identités en termes de performance (Cameron 1997, Bucholtz 1999, Eckhert et McConnell-Ginet 2003, Greco 2013), partage du travail conversationnel (Lakoff 1973, Yaguello 1978), pratiques scripturales inclusives (Houdebine 1987, Abbou 2017), analyse des discours féministes et anti-féministes (Paveau et Pahud 2017, Abbou 2015, Cardoso et Thevenet 2018), ou encore représentation des femmes dans l’espace médiatique et politique (Macrobbie 2009, Julliard 2016, Guaresi 2018, Cervulle et al. 2016).

Les effets du capitalisme sur les pratiques communicationnelles, langagières et discursives constituent quant à eux un champ d’analyse historique de la sociolinguistique et de l’analyse du discours. Rappelons que la sociolinguistique est née en s’employant à décrire la stratification sociale des usages langagiers (Labov [1972] 1976, Bourdieu 1982, Gardin et Marcellesi 1974). Les lieux de travail et les relations hiérarchiques qui s’y déploient ont également été étudiés dans leur cristallisation langagière (Boutet 2012, Canut et Duchêne 2011, Duchêne 2011). D’autres travaux ont porté sur les pratiques des groupes socialement dominés telles que celles des jeunes groupes de pairs vivant en périphérie urbaine (Eckert 1989, Trimaille et Billiez 2007, Gadet 2017) ou bien sur la représentation médiatique et politique des classes sociales dominées (Verón 1975). Par le prisme de l’Analyse du Discours, le discours néolibéral (Guilbert, Lebaron et Peñafiel 2019) comme les injonctions technocratiques et dépolitisantes du discours néo-managérial (Devriendt et Monte 2015, Née, Oger et Sitri 2016) peuvent être déconstruits d’un point de vue critique. Parallèlement, les discours électoraux et gouvernementaux et leurs dispositifs de communication sont un objet d’étude canonique dans nos disciplines (Silverstein et Lempert 2012, D’Almeida 2018), mais sans qu’elles ne proposent systématiquement des analyses critiques.[6]
Mentionnons également l’émergence d’une approche langagière des rapports sociaux de race : si la sociolinguistique s’est interrogée sur les rapports entre parlers et colonisation dès les années 1970 (Calvet 1974, Canut 2008), le lien entre pratiques langagières et processus de racialisation demeure en France une question nouvelle. En Analyse du Discours, les usages de la catégorie race ont été examinés en soi (Bonnafous et Fiala 1992, Devriendt, Monte et Sandré 2018). D’autres entrées sémio-discursives commencent à être explorées, telles que les pratiques de « whitisation symbolique » chez des sujets racialisés étudiées par Suzie Telep (2019)[7]. Notons enfin les travaux nombreux décelant le racisme systémique des productions médiatiques, littéraires et culturelles (Cervulle et Quemener 2014, Harchi 2016).
Enfin, plusieurs travaux de nos disciplines invitent à changer de paradigme en remettant en cause la dichotomie traditionnelle nature/culture, et proposent de travailler sur les frontières poreuses entre humain et non-humain (Ingold 2013, Kulick 2017, Smith 2017, Costa 2018, Perea 2018), pour repenser nos conceptions du langage. D’autres travaux s’emploient à déconstruire les logiques de green-washing de la communication publicitaire et d’entreprise (Acquier 2009), et la dépolitisation des discours écologiques (Comby 2015).

C’est donc à la fois à une réflexion sur les cadres théoriques critiques des sciences sociales du langage, et sur la portée politique de nos travaux qu’invite cet appel. L’approche critique est entendue ici comme une remise en cause réflexive et permanente à la fois du rapport que nous entretenons aux objets étudiés, des effets de nos travaux sur le monde qui nous entoure, et des enjeux sociaux dans lesquels nous sommes pris⋅es. Plus qu’une simple réflexivité, la posture critique[8] est pour nous indissociable d’une dimension politique de la recherche, comprise ici comme objectivant les rapports de domination, d’exploitation ou de contrôle, et/ou documentant des espaces de réagencement des relations sociales vers plus de liberté et d’égalité. C’est donc en interrogeant nos rapports aux luttes sociales d’aujourd’hui, en observant la performativité de nos concepts et de nos recherches empiriques auprès des acteur⋅ices concerné⋅es, et en posant dans ce rapport la question du langage, que nous souhaiterions redessiner les contours d’une recherche sémio-langagière à la fois critique et politique.
Aussi, les contributions pourront-elles s’inscrire dans les axes de questionnements suivants :

• Critique en acte, exemples de travaux : les contributions pourront se réapproprier, à partir de corpus et/ou de terrains originaux, les grandes problématiques sociales qui structurent aujourd’hui le débat public et qui sont à l’origine de nombreuses mobilisations, parfois convergentes. Nous pensons entre autres aux questions relatives au rapports sociaux de classe, de race, de sexe, aux rapports entre espèces ou encore à la gouvernementalité étatique. Au-delà de ces découpages sectionnels, il s’agira de se demander ce que les sciences sociales du langage peuvent apporter à l’étude des enjeux que représentent les corps, leur santé et leur phénotype, l’inconscient, le sacré, le désir et les sexualités, le travail, la marchandise et l’argent, le vivant sous toutes ses formes et son exploitation humaine, l’État, la politique et le contrôle social… Que faire de l’intersectionnalité en sciences sociales du langage[9] ? Et au-delà de la sphère académique, quels peuvent être les espaces de diffusion et les modalités de réception de ces travaux ?

• Cadres théoriques et épistémologiques critiques : Ouvrir ce numéro à de nombreux cadres théoriques n’implique pas qu’ils puissent être combinés sans rigueur. Il s’agit ici de présenter des approches qui permettent d’assumer notre positionnement politique sans pour autant relativiser toute production de savoir, et qui offrent aux chercheur⋅euses la possibilité d’éclairer légitimement des questions sociales sans se placer dans une relation verticale vis-à-vis de la parole étudiée (Guilhaumou 2013). Ces outils conceptuels s’inscrivent dans une genèse socio-historique qu’il conviendra d’expliciter avant de se les réapproprier.
Comment tresser des cadres conceptuels critiques en sciences sociales du langage ?Faut-il nécessairement que les travaux dont nous nous inspirons soient historiquement situés dans une pensée émancipatrice, ou bien tout outil notionnel peut-il être réapproprié dans une visée critique, indépendamment de sa genèse ? Quelles épistémologies mobiliser pour éclairer les processus communicationnels, discursifs et langagiers dans une optique d’émancipation sociale ? À l’aune de quels critères mesure-t-on la force critique d’un concept? Avec quelles autres disciplines de sciences humaines construire un dialogue fructueux dans cette perspective (économie, anthropologie, psychanalyse, philosophie, littérature, etc.) ? Comment articuler une posture réflexive critique sans abandonner l’exigence analytique éclairant un terrain ?

La revue Semen est née autour de travaux qui proposaient une lecture linguistique et discursive d’œuvres littéraires. Du point de vue disciplinaire, il n’est donc pas nouveau pour cette revue de franchir les barrières académiques artificielles : dans la mesure où les pratiques langagières à la fois reflètent et transforment le social, dans la mesure où les discours, pris dans des dispositifs techniques et sociaux, s’affrontent, se légitiment et se délégitiment, circulent et sont détournés, de sorte qu’ils sont le lieu à la fois de formes d’assujettissement et de subjectivation (Rancière 1998, Butler 1997), toutes les approches sociales du langage peuvent nourrir notre réflexion. Analyse du discours et sociolinguistique, sémiologie et sciences de la communication, anthropologie linguistique et sémiotique, sociologie, histoire, poétique, psychanalyse et tant d’autres peuvent ainsi recouper leurs approches pour appréhender cette question commune du lien entre langage et société, ou plutôt du lien entre langage et transformation radicale de notre société.

Echéancier

• Envoi des propositions d’article (3000 signes) : 31 janvier 2021

Les propositions sont à envoyer aux quatre coordinateur-ices du numéro : flxdanos@gmail.com,richard.guedj@gmail.com, manon_himaquilli@yahoo.fr et sandra.nossik@gmail.com. L’acceptation des propositions ne vaut pas acceptation de l’article qui sera soumis à évaluation anonyme.

• Retour des coordinateur-ices du numéro : 15 février 2021

• Envoi des articles : 3 mai 2021

• Retour des évaluateur-ices : début juin 2021

• Envoi de la version définitive des articles après navettes : 13 juillet 2021

[1] Par le politique, nous entendons ce qui est relatif à l’organisation des rapports sociaux et à leur nature (de domination, d’égalité, etc.), du point du vue de la distribution et de la négociation du pouvoir, et notamment du pouvoir de décider pour soi et pour ses collectifs d’appartenance (pour une délimitation plus fine du politique, voir Rancière 1998 : 112). La politique renvoie quant à elle au champ politique et à tout ce qui relève de la gouvernementalité institutionnelle et professionnalisée.
[2] Par sciences sociales du langage, nous entendons toutes les approches scientifiques du langagier et des dispositifs de communication en tant que pratiques sociales situées : Analyse du Discours, SIC, Sociolinguistique… Cf. Silverstein (1998 : 403) et Hambye (2012).
[3] Revue GLAD ! ; séminaire Critiques Sociales du Langage à l’Université Paris Descartes depuis 2015 ; journées d’étude Les sciences sociales du langage face aux enjeux politiques et économiques contemporains, 26-27 septembre 2019, Université Paris Descartes/Sorbonne Nouvelle/Paris Est Créteil ; colloque L’analyse du discours entre description, geste critique et intervention, 13-15 novembre 2019, Université de Poitiers ; colloque Les sciences du langage aujourd’hui : quels défis sociétaux ?, 2020, Universités de Kenitra et de Lorraine ; Future Imperfect : Language in Times of Crisis and Hope, Society for Linguistic Anthropology 2020 Spring Conference ; cf. aussi les ouvrages de Pugnière-Saavedra F. et al., 2012, L’analyse du Discours dans la société. Engagement du chercheur et demande sociale, Paris, Honoré Champion ; et Canut C. et al., 2019, Le langage, une pratique sociale. Eléments d’une sociolinguistique politique, Besançon, PUFC.
[4] Les financements par projet qui se généralisent couplés à la précarisation des statuts marginalisent les recherches inédites, épistémologiques, théoriques, individuelles et encouragent certains objets ciblés et définis par les institutions et les entreprises privées.
[5] Le succès du podcast animé depuis 2019 par Laélia Véron, Parler comme jamais(https://www.binge.audio/podcast/parler-comme-jamais/parler-comme-jamais/), ainsi que de l’ouvrage co-écrit avec Maria Candea, Le Français est à nous ! (2019, La Découverte), témoigne de cet intérêt actuel pour une approche critique étayée des faits de langage.
[6] A ce titre, et en dépit de son nom, la Critical Discourse Analysis (Fairclough 1995, Van Dijk 2008, Wodak 2004, Van Leeuwen 2009, Verschueren 2012) nous semble emblématique d’une approche de type instrumentale, appliquée à des discours politiques ou médiatiques objectivés.
[7] cf. également l’appel à contribution pour un numéro thématique de la revue Itinéraires intitulé « Race et Discours » publié en janvier 2020 par G. França, Y. Ghliss, G.N. Gléo et M-A. Paveau : https://journals.openedition.org/itineraires/7245
[8] Nous entendons « critique » au sens strict et marxien d’une analyse des conditions de production, et au sens large, à la fois d’une analyse de l’état historique d’une « praxis sociale », du rôle que jouent les « théories traditionnelles » dans le maintien de cette praxis, et de l’attitude engagée de la recherche pour une transformation active de la « vie sociale » (Horkheimer 1937).
[9] Voir notamment le carnet de recherche Analyse du discours intersectionnelle, mis en ligne le 10/11/2020 par G. França, Y. Ghliss, N. Gnesonsegouet Gléo, N. Marignier, M-A. Paveau et C. Ruchon.