Appel à contribution Revue GLAD! “Linguistique féministe”, numéro spécial multilingue
La revue GLAD! publiera en décembre 2023 un numéro multilingue dédié à la linguistique féministe. Nous acceptons les contributions en anglais, roumain, espagnol, italien, allemand, turc, portugais et français. Si vous souhaitez contribuer à ce numéro, nous vous invitons à soumettre une proposition d’article (de 3000 à 6000 signes) d’ici le 15 mai à revue.glad@gmail.com. Des informations complémentaires sur les soumissions sont fournies à la fin de cet email et en pièce jointe.
Créée en 2016, la revue GLAD! est une revue francophone dédiée aux travaux qui articulent genre, sexualités et langage. Au moment où la revue développe une attention de plus en plus accrue aux enjeux féministes de traduction et de circulation des savoirs, nous voudrions, avec ce numéro, travailler par-delà les langues et les espaces, et publier des textes de différentes langues – en traduction ou non – afin de provoquer des rencontres intellectuelles dans une démarche internationaliste.
L’objectif de ce numéro est de s’interroger sur les rapports qu’entretiennent la linguistique et le féminisme, depuis la réflexion des pionnières qui ont investi le champ jusqu’aux reconfigurations actuelles. Ce projet voudrait poser plusieurs axes de réflexion :
- la place du politique (envisagée aussi bien pour les chercheureuses et pour les locuteurices, que dans les discours, les objets d’études et les théories),
- la dimension épistémologique d’une approche féministe du langage et de la linguistique tout comme d’une approche linguistique des questions de genre et de sexualités,
- enfin les nouvelles perspectives proposées aux sciences du langage par la reconfiguration contemporaine des questions féministes, notamment entre matérialisme et queer.
Bien au-delà des questions d’écriture inclusive qui ne sont pas au coeur ce numéro, la première dimension qui nous intéresse concerne la question politique dans le rapport entre féminisme et linguistique : pour ce qui est de la France, lorsque les pionnières s’emparent de la question féministe dans les années 1980 pour la faire travailler en linguistique, le statut du politique au sein des recherches en sciences humaines et sociales est différent de ce qu’il est aujourd’hui et plus clairement affirmé. Pourtant, depuis les années 1960, la rencontre entre marxisme et structuralisme va produire, pour un certain nombre de disciplines en sciences humaines, un linguistic turn. En sciences du langage, il ne s’agira pas d’embrasser un structuralisme déjà là, mais d’y adjoindre un marxisme comme « philosophie du langage » (Bakhtine/Voloshinov [1929] 1977). La lecture des textes des années 1970 et 1980 à cet égard est frappante : le langage est politique, sans aucun doute (voir notamment les travaux de l’école française d’analyse du discours…).
Cependant, à lire les pionnières, on sent bien la résistance qu’oppose le champ aux questions de genre (et donc aux questions féministes). En d’autres termes, le féminisme rencontre en sciences du langage les mêmes oppositions que dans les autres espaces politiques : priorité à la lutte des classes. Dans les trois dernières décennies, les sciences du langage dans leur ensemble se sont défaites d’approches politiques assumées (à l’exception de certaines approches critiques en sociolinguistique ou en analyse du discours). Si la production scientifique sociolinguistique s’intéresse au politique, c’est seulement comme objet et rarement comme ancrage épistémique. De manière intéressante, c’est dans ce contexte qu’ont resurgi les recherches féministes en linguistique, réinjectant la question politique dans l’agenda linguistique. Qu’en est-il dans les différentes configurations nationales ?
Avec ce numéro, nous souhaitons proposer une réflexion et des discussions transnationales sur ces liens entre recherche et féminisme. Quels ont été ces liens dans les différentes configurations nationales et linguistiques ?
Que peut-on faire aujourd’hui de cette dimension politique dans les recherches ? Nous permet-elle de voir autrement ? de nouveaux objets ? de nouveaux rapports ? Que nous permet de penser le politique aujourd’hui que nous ne pourrions penser autrement ? Par ailleurs, le féminisme et les théories queer apportent-ils une approche spécifique du politique par rapport aux approches critiques dans leur ensemble ?
Quels sont les enjeux épistémiques actuels à articuler une pensée féministe, nécessairement politique, à des recherches en linguistique au sein desquelles la question politique semble majoritairement avoir fait long feu face aux revendications de plus en plus hégémoniques des principes de « neutralité » ? Peut-on faire une histoire politique des sciences du langage, notamment dans leurs rapports au féminisme ? Y-a-t-il une linguistique féministe aujourd’hui ? Quelle est la place de l’interdisciplinarité dans les recherches
linguistiques féministes actuelles, au sens de la mise en relation de savoirs construits selon des procédures différentes et des rapports différents à la construction de la vérité ?
Par ailleurs, comment interpréter les réactions actuelles d’hostilité au féminisme de certains linguistes ? Quel est l’agenda politique (les agendas politiques) des sciences du langage ? Sont-elles capables d’assumer un agenda politique ? N’est-ce pas la bataille qui se joue actuellement ?
Cela amène plus largement à s’interroger sur les idéologies du genre des linguistes. Peut-on analyser les discours de la linguistique réactionnaire/conservatrice ? Comment, quelle position adopter ? Est-ce un objet d’étude à muséifier ou bien un phénomène émergent qu’il est épistémologiquement urgent de contrecarrer ?
Les derniers débats autour de l’écriture inclusive, qui ont eu lieu peut-être davantage dans la presse que dans les espaces éditoriaux scientifiques, montrent que les positions théoriques en linguistique peuvent parfois être considérées comme les cache-sexes de lectures politiques du monde contemporain. En effet, ces débats sont dictés par un calendrier médiatique et s’articulent volontiers à des enjeux dont personne, hormis quelques sociolinguistes, ne se préoccupait en linguistique depuis 30 ans : égalité, citoyenneté, lutte contre les discriminations, laïcité, etc. Difficile, donc, de ne pas lire dans ces réactions, qu’elles soient réactionnaires ou progressistes, une lutte politique pour une vision du monde, mais aussi une lutte à propos de ce que doivent être les sciences du langage.
On peut considérer que c’est une bonne nouvelle que, bon gré mal gré, les sciences du langage soient à nouveau dans l’arène du social. Pour autant, le recours régulier aux arguments de l’objectivité et de la neutralité pour prétendre à une plus grande scientificité empêchent d’assumer les différents positionnements politiques pour ce qu’ils sont. Doit-on alors, en discussion avec Haraway (2007), défendre l’idée que des positionnements politiques assumés permettent de produire une science meilleure ou bien doit-on assumer que les linguistes produisent, ou peut-être doivent produire parfois autre chose que de la science, à savoir prendre part publiquement et ès qualité aux débats et aux décisions sur ce que doit-être la société ?
D’un autre côté, on peut s’interroger sur les liens qu’entretient la linguistique avec les différents courants féministes. La linguistique féministe – du moins en France – s’est historiquement ancrée dans le féminisme matérialiste (Michard 1999, Violi 1987) : peut-on parler de linguistique matérialiste ? Si tel est le cas, s’agit-il d’une linguistique qui se préoccupe du sens en lien avec les conditions matérielles d’existence ? D’une linguistique qui considère la matière du langage comme vectrice d’idéologies (du genre) ?
Par ailleurs, si elle s’est développée aux États-Unis et en Allemagne (Motschenbacher 2010, Motschenbacher & Stegu 2013, Hornscheidt 2007, Leap [2011] 2018, Milani 2018, etc.), en France la perspective d’une linguistique queer est assez minoritaire. Quels pourraient en être les principes ? On note également une tentative récente d’articulation entre les courants matérialistes et queer au sein des théories féministes. Comment la linguistique peut-elle se saisir de ces nouveaux liens et que peuvent-ils apporter ? Enfin, quelle réponse apporter au nouveau féminisme matérialiste qui se fonde notamment sur son opposition à la prise en compte des questions linguistiques ?
D’un point de vue théorique et disciplinaire, on peut également s’interroger sur la place de la linguistique au sein de la pensée féministe. En effet, les sciences humaines et sociales féministes se sont beaucoup saisies du langage. Si cela a permis des apports conceptuels majeurs (la performativité telle que redéfinie par Butler 2004, 2005, par exemple), cela s’est parfois fait au prix d’un manque de précision dans les analyses et l’utilisation des théories (voir Ahmed 2019, par exemple). La linguistique ne serait-elle qu’un outil pour les sciences sociales féministes ? Ou peut-on penser un apport fort d’une linguistique féministe qui viendrait éclairer les enjeux de genre et de sexualité d’une manière spécifique à la discipline ?
Enfin, dans un mouvement retour, on peut s’interroger sur les apports d’une perspective féministe sur les théories et méthodes de la linguistique, en faisant des théories féministes une « épistémologie contributive » (Paveau 2018) aux sciences du langage et en s’éloignant de la considération du genre comme simple objet de recherche. Si la linguistique a jusqu’à présent tenu la théorie féministe dans ses marges, on peut considérer à l’inverse qu’elle permet de revisiter à nouveaux frais certaines questions centrales des sciences du langage. C’est le cas en ce qui concerne l’opposition entre langue et discours ou encore la tension entre structuralisme et post-structuralisme par exemple. Alors que le structuralisme n’est plus revendiqué, ni même discuté, dans la majorité des travaux contemporains mondiaux, les sciences du langage – y compris dans leurs nouveaux paradigmes – s’inscrivent-elles toujours dans un structuralisme ? Comment différents structuralismes, dans leurs différentes déclinaisons (matérialisme, structuralisme saussurien, structuralisme pragois, structuralisme anthropologique, psychanalyse, etc.), peuvent-ils d’une part s’articuler, d’autre part nous aider à penser ensemble les rapports de domination et les résistances / dynamiques d’émancipation ? Quels autres paradigmes permettraient de penser ces rapports dans leur dimension langagière ?
Pour le dire autrement, les différents apports du féminisme sur l’articulation entre le singulier et la catégorie sont-ils capables d’éclairer les théorisations linguistiques ? Si la linguistique féministe a montré à quel point le genre et les sexualités sont profondément modelés par les langues et les discours, elle a également montré comment les questions de genre et de sexualités impactent le discours et la langue, ou du moins les théories du discours et de la langue (voir le premier numéro de la revue GLAD!: Abbou & al. 2016)
Alors que les approches sociales du langage s’en tiennent souvent à une lecture bourdieusienne du social, les théories féministes ont proposé une multitude de façons de penser les dominations et le pouvoir. Quels sont les apports théoriques et épistémologiques du féminisme transférables aux approches sociales de la langue ? En quoi cela nous permet-il de revisiter les notions classiques de la sociolinguistique et de l’analyse de discours ?
Références
Abbou, Julie, Candea, Maria, Coutant, Alice, Gérardin-Laverge, Mona, Katsiki, Stavroula, Marignier, Noémie, Michel, Lucy et Thevenet, Charlotte. 2016. « GLAD! revue féministe et indisciplinée » GLAD! 01 http://journals.openedition.org/glad/260
Ahmed, Sara. 2019. « Le langage de la diversité » GLAD! 07 http://journals.openedition.org/glad/1647
Butler, Judith. 2004. Le Pouvoir des mots. Paris : Amsterdam
____. [1990] 2005. Trouble dans le genre : pour un féminisme de la subversion. Paris : La Découverte.
Haraway, Donna. 2007. Manifeste Cyborg et autres essais. Paris : Exils Editeur.
Hornscheidt, Lann. 2007. “Sprachliche Kategorisierung als Grundlage und Problem des Redens über Interdependenzen. Aspekte sprachlicher Normalisierung und Privilegierung.” dans Katharina Walgenbach, Gabriele Dietze, Lann Hornscheidt, Kerstin Palm eds. Gender als interdependente Kategorie. Opladen: Budrich, 65-106.
Leap, William L. [2011] 2018. « Linguistique queer, sexualité et analyse du discours », GLAD! 05 http://journals.openedition.org/glad/1244
Michard, Claire. 1999. « Humain/femelle : deux poids deux mesures dans la catégorisation de sexe en français ». Nouvelles Questions Féministes 20(1) : 53‑95.
Milani Tommaso. 2018. Queering Language, Gender and Sexuality. Sheffield : Equinox
Motschenbacher, Heiko. 2010. Language, Gender and Sexual Identity. Poststructuralist Perspective. Amsterdam, Philadelphia : John Benjamins.
Motschenbacher, Heiko & Stegu, Martin. 2013. « Queer Linguistic Approaches to discourse ». Discourse & Society 24(5) : 519-535
Paveau, Marie-Anne. 2018. « Le genre : une épistémologie contributive pour l’analyse du discours», dans Husson A.-C. et al. dir., Le(s) genre(s). Définitions, modèles, épistémologie, Lyon : ENS Éditions : 79-95.
Violi, Patrizia. 1987. « Les origines du genre grammatical ». Langages 85 : 15‑34.
Voloshinov, Valentin. [1929] 1977. Le Marxisme et la philosophie du langage. Paris : Minuit.
Modalités de proposition d’article scientifique
Les propositions d’articles scientifiques sont d’abord envoyées sous forme de résumé d’une à deux pages (soit 3 000 à 6 000 signes) à l’adresse revue.glad@gmail.com
Le fichier contiendra :
- le titre envisagé
- le nom de l’auteur·e ou des auteur·es
- son/leur éventuel rattachement institutionnel
- l’adresse mail de l’auteur·e responsable de la correspondance
- le résumé
- jusqu’à 6 références bibliographiques
- le type d’article envisagé : note de recherches ou compte-rendu critique (25 000 signes), article standard (50 000 signes)
Les formats acceptés sont les suivants : .doc ; .docx ; .rtf ; .odt
Les résumés peuvent être proposés dans les langues suivantes : Anglais, roumain, espagnol, italien, allemand, turc, portugais, français.
Les contributeur·ices seront informé.es par mail de l’acceptation ou du refus de leur résumé par le comité de rédaction en charge de la sélection. L’acceptation du résumé n’est pas un engagement de publication mais vaut encouragement. La réponse pourra éventuellement s’accompagner de remarques.
Les auteur.es dont les propositions auront été retenues seront invité.es à envoyer leur contribution complète, qui suivra les normes rédactionnelles de la revue, disponible à l’adresse suivante : https://journals.openedition.org/glad/5325
Calendrier
Date-limite de réception des propositions : 15 mai 2023
Date de notification: 15 juin 2023
Date de réception des articles complets : 1 septembre 2023
Réception des évaluations anonymes : 30 octobre 2023
Date prévisionnelle de parution : 15 décembre
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